Véranda

Clara Gervaise-Volaire

Clara Gervaise-Volaire

Ça me rappelle, l’empreinte de l’index sur le coin gauche du carreau de la véranda, la marque de ce doigt, l’index trébuchant, triste et solitaire dans la lueur du matin. Cette véranda se réveillait chaque jour pleine de la moiteur des nuits méditerranéennes, mais lui, l’index, et le corps dont il était une des extrémités, avaient précédés l’aube, s’étaient hâtés d’effleurer la surface rugueuse des rideaux obscurcissant. Obscurcissant. Mais que la nuit fut noire ou claire, l’index ne le savait pas. La montre parlante, ceinture étroite qui ne quittait plus le poignet, avait le timbre clair à toute heure. L’autre index, tâtonnant, la faisait chanter. Il avait peut-être été six heures et deux minutes, ou sept heures et vingt-trois minutes au moment de l’impact, peu importe son ton avait résonné dans cette inflexion familière, régulière peut-être, monocorde assurément : sept heures et vingt-trois minutes. Un frisson avait alors parcouru son long et frêle cou, la vibration du corps, de l’arc et de la flèche contre la vitre s’y répercutant. Une goutte sur la paroi humide de la véranda, touchée par l’onde, s’était subitement détachée, détalant verticalement vers le sol. Une goutte sur son cou, une larme des tréfonds de la nuit, l’avait lentement rejoint. 
Les santons avaient des yeux d’émaux. 
Santons aux mille reflets, les bras vers le ciel, le tambourineur, les moutons, les tous petits pains, le petit monde figé des êtres d’émail, emballés dans des couches de papier bulle et de papier crépon blanc cassé, endormis – peut-être – dans le coffre, le coffre dans la maison, à côté des porte fenêtres – santons façonnés par cet index en des jours pluvieux, en des jours de lumière et en des nuits dangereusement éclairées. J’aime à penser qu’ils dorment et qu’ils ne savent pas pour l’empreinte de l’index, pour les bris de verre dans les yeux, pour les couleurs évaporées. Qu’est-ce qu’une couleur qui s’évapore ? On lui a offert un petit boîtier noir avec un bouton jaune – un jaune canard – et un laser. L’index appuie sur le boîtier, qui, pointé vers une surface unicolore – parle lui aussi. Des feutres de son. Je l’ai testé sur ses pulls, les gros pulls en laine qu’il aime porter à Noël– rouge, vert clair, orange, rouge foncé. Je l’ai pointé sur les grands santons. Il ne reconnaît pas le céladon. Il dit bleu une fois, et puis il dit vert. L’index se lève, essaye de se souvenir – c’est Marie, la petite Marie de l’an 2000, c’est la laitière dans son tablier émeraude. On se regarde. Je le regarde. Il a les yeux qui fuient et les joues rougies. 
Je n’essuie pas l’empreinte de l’index, j’observe longuement, une minute, deux minutes, encore un moment, notre reflet dans le carreau. Je m’écarte, il n’est plus là, il a rejoint les couleurs. Evaporées.
Ailleurs - est-ce moi qui suis ailleurs - loin de la Méditerranée. Une vitre teintée de rose, un verre de souvenirs qui débordent. Paris en reflets sur une bouteille. Mon index posé à son tour sur les yeux, sur la goutte, sur la véranda.

Ici, on lit et on écrit des histoires courtes

Choisissez votre lecture
0