37, impasse du Phare – Les lumières de la ville

Dayvis Dos Reis Borges

Dayvis Dos Reis Borges

La nuit tombe, le ciel se teinte progressivement. D'un orange timide indiquant le repos du soleil, on passe à un mauve maussade, fade malgré ou bien à cause des nuages qui l'agrémentent. À cette latitude, on a habituellement l'occasion d'observer cette teinte rosée, si particulière qui met du baume au cœur, néanmoins ce n'est pas le cas aujourd'hui. Au beau milieu du firmament, des groupes d'oiseaux marins fendent la brume, ils se dirigent vers la ville, sûrement à la recherche de restes ou de charognes alors même qu'un gisement de ressources de bien meilleure qualité les attend de l'autre côté du port.

D'ici ils peuvent contempler le halo lumineux qui s'extirpe tant bien que mal des ruelles et se meut aisément dans les grandes avenues. Paradoxalement, ce sont certainement ces ruelles exiguës qui agissent comme un diaphragme et laissent s'échapper une lumière plus intense et aussi beaucoup plus directive, qui par la magie du destin vient à l'instant se coller sur la rétine d'un charognard dont le vol est perturbé. Dans le même temps, ce faisceau se distingue de l'émanation informe qui illumine le ciel. Cette dernière se présente comme un océan de lumière qui, au lieu de se trouver au-dessus de leurs becs, se situe en dessous de leurs ailes. Les volatiles semblent désorientés par ce changement de paradigme, par chance certains faisceaux agissent comme des phares, ils dessinent un chemin dans le ciel. Les ruelles deviennent la destination de prédilection des voyageurs qui espèrent se repaître dans ces endroits lumineux mais peu fréquentés.

Plus ils se rapprochent de l'objectif, plus ils parviennent à distinguer les différentes formes qui composent la ville, bien que leur chemin se soit brouillé – comme si la focale qui permettait d'obtenir des rayons nets sur leur rétine s'était déréglée. Elle produit désormais un brouillard de lumière et non plus une image précise. Arrivés loin du chantier naval, de ses algécos et de sa machinerie, les oiseaux poursuivent leur chemin dans cet environnement où ils peinent à distinguer les formes qui émanent du sol, ils décident donc de continuer à perdre de l'altitude afin de se rapprocher du but.

Une fois au sol, ils se rendent compte que leur eldorado n'est qu'un mirage. En effet, leurs concurrents rampants se sont déjà chargés de ramasser toutes les denrées encore consommables jetées par les supporters peu consciencieux dans les ruelles aux abords du stade. Les rongeurs rassasiés démarrent un nouveau périple qui sera le chemin du retour vers leur foyer. Ils se déplacent dans la pénombre, ils longent les caniveaux. Les enseignes lumineuses clignotantes accélèrent leur mouvement, qui se fait plus rapide et saccadé comme s'il était passé par un stroboscope.

Les passants s'arrêtent quelques secondes pour exprimer leur dégoût quand ils aperçoivent les rats transporter leur butin. Ces scènes restent rares. Les rongeurs fuient la lumière comme la peste. Ils tentent tant bien que mal d'éviter les goélands et les chats errants, se sachant à une place peu avantageuse dans cette chaîne alimentaire des caniveaux.

L'heure a tourné, les lampadaires s'éteignent, c'est également l'extinction des feux dans la majorité des foyers. Tous les habitants de la ville qui possèdent un toit ferment leurs paupières dans la pénombre, ceux qui n'en ont pas restent à l'affût et ne dorment que d'un œil, éclairé par les enseignes et ce qu'il reste des lumières de la ville.


Ce texte a été rédigé par un(e) étudiant(e) ayant participé à l'atelier d'écriture de création "Ici et là, partout, ailleurs : l'écriture des lieux" dispensé par Maylis de Kerangal, titulaire de la Chaire d'écrivain en résidence du Centre d'écriture et de rhétorique de Sciences Po au semestre d'automne 2020.

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