Instant de vie
3 min
Un texte de
Antoine Chossat
Il commençait à faire froid, plus seulement frais. Les lampadaires s'allumaient progressivement sans qu'on s'en rende trop compte et les gens normaux étaient déjà rentrés du travail. C'était le soir. Et comme c'était le soir, cela voulait dire que ça commençait à faire un certain temps. Un certain temps que, à l'autre bout du monde, un mécanisme trop complexe pour les gens normaux perturbait le cours de leur vie. Depuis plusieurs heures maintenant, toute communication, sur tous les réseaux sociaux, était devenue impossible. Plus moyen d'échanger une quelconque photo ou tirade, de se renseigner en direct sur l'actualité du monde ou de communiquer en masse sur un quelconque sujet.
Ce soir-là, ils s'étaient retrouvés et attendaient le bus dans la nuit tombante.
- C'est quand même marrant, lui dit-il.
- De quoi ?
- Ben ça, on se croirait dans une sorte d'apocalypse où rien n'est vraiment grave, comme si tout venait de s'arrêter mais qu'il fallait continuer quand même.
- Oui, alors qu'au fond c'est juste un stagiaire qui a fait une fausse manip, elle lui répondit, ne sachant pas quel degré d'expertise apporter à la discussion.
À vrai dire, cette blague ne le faisait plus trop rire depuis qu'il était lui-même stagiaire, devait envoyer des mails à plus de 4 personnes en simultané et depuis surtout qu'il vivait au quotidien dans la peur d'en faire une, une erreur de stagiaire.
- J'ai dû réactiver les forums que j'avais au collège pour parler avec certains potes mais comme la plupart sont morts...
- Tes potes ?? Lui dit-elle en le coupant brusquement, saisissant la moindre opportunité pour une blague mal placée, une blague qui lui permettait surtout de se passer de son explication dont elle se foutait éperdument.
- Non, pas mes potes, les forums. La plupart était codée dans un langage qu'on utilise presque plus aujourd'hui et forcément le formatage est pas le même donc pour fonctionner ils doivent utiliser un... attends mais tu m'écoutes pas en fait ?
- Mais profite, ça fait des heures que le monde vit sans réseau et qu'on peut enfin se parler en vrai, et toi tu me parles de forum.
Pour le coup, elle marquait un point.
- Mmh, oui.
Ils se rendirent vite compte qu'il était en fait plus difficile que prévu de trouver un sujet de conversation qui ne tournait pas autour du bug et donc a fortiori, des réseaux.
- Tu sais que c'est la Fashion week en ce moment ? Demanda-t-elle rhétoriquement. Imagine, mais juste imagine la détresse systémique : les créateurs qui ne peuvent plus partager leurs créations, les influenceurs qui ne peuvent plus influencer, les community manager...
- Qui ne peuvent plus community manager ?
- Mais oui ! Si tu veux mon avis, renchérit-elle, dans toutes les crises, il faut anticiper, être plus vifs, plus réactifs que les autres. Appelle ton banquier, j'ai eu une vision, faut qu'on achète des parts chez Xanax !
- C'est pas con ce que tu dis.
- Le Xanax ?
- Si on invente un truc, qui permet de communiquer, de réagir à ce que font les autres et de participer à leur vie MAIS qui ne soit dépendant ni de réseau, ni de batterie, ni d'un stagiaire...
Elle le fixa et comme si une épiphanie venait de se présenter :
- Un truc genre...
- Non ok chut,
- Nan mais donc un truc comme...
- C'est bon, j'ai compris t'es pas obligée de le dire,
- Nan mais attends du coup un truc du style...
- Bon vas-y dis le.
- La parole ?
- Ah. Ah. Ah. Super, t'es contente ? +1€ dans la tirelire à réflexions réac.
Le bus venait d'apparaître à l'horizon.
- Viens on prend le suivant, lui dit-elle avec des yeux quasi suppliants,
- Mais pourquoi ? Y'aura personne à cette heure, le prochain est dans je sais pas combien de temps, il commence à faire hyper froid et...
- Steuplait, on est bien là.
Comme aucun des deux ne lui fit signe, le bus ne s'arrêta pas et continua sa route entre les lampadaires qui éclairaient de plus en plus.
- Bon allez, raconte-moi maintenant.
- De quoi ?
- Allez arrête ton teasing, je crève d'impatience...
- Non mais de quoi ?
- Tu discutes avec tes potes morts sur des forums en 2021, faut absolument que tu m'expliques ça.
Ce soir-là, ils s'étaient retrouvés et attendaient le bus dans la nuit tombante.
- C'est quand même marrant, lui dit-il.
- De quoi ?
- Ben ça, on se croirait dans une sorte d'apocalypse où rien n'est vraiment grave, comme si tout venait de s'arrêter mais qu'il fallait continuer quand même.
- Oui, alors qu'au fond c'est juste un stagiaire qui a fait une fausse manip, elle lui répondit, ne sachant pas quel degré d'expertise apporter à la discussion.
À vrai dire, cette blague ne le faisait plus trop rire depuis qu'il était lui-même stagiaire, devait envoyer des mails à plus de 4 personnes en simultané et depuis surtout qu'il vivait au quotidien dans la peur d'en faire une, une erreur de stagiaire.
- J'ai dû réactiver les forums que j'avais au collège pour parler avec certains potes mais comme la plupart sont morts...
- Tes potes ?? Lui dit-elle en le coupant brusquement, saisissant la moindre opportunité pour une blague mal placée, une blague qui lui permettait surtout de se passer de son explication dont elle se foutait éperdument.
- Non, pas mes potes, les forums. La plupart était codée dans un langage qu'on utilise presque plus aujourd'hui et forcément le formatage est pas le même donc pour fonctionner ils doivent utiliser un... attends mais tu m'écoutes pas en fait ?
- Mais profite, ça fait des heures que le monde vit sans réseau et qu'on peut enfin se parler en vrai, et toi tu me parles de forum.
Pour le coup, elle marquait un point.
- Mmh, oui.
Ils se rendirent vite compte qu'il était en fait plus difficile que prévu de trouver un sujet de conversation qui ne tournait pas autour du bug et donc a fortiori, des réseaux.
- Tu sais que c'est la Fashion week en ce moment ? Demanda-t-elle rhétoriquement. Imagine, mais juste imagine la détresse systémique : les créateurs qui ne peuvent plus partager leurs créations, les influenceurs qui ne peuvent plus influencer, les community manager...
- Qui ne peuvent plus community manager ?
- Mais oui ! Si tu veux mon avis, renchérit-elle, dans toutes les crises, il faut anticiper, être plus vifs, plus réactifs que les autres. Appelle ton banquier, j'ai eu une vision, faut qu'on achète des parts chez Xanax !
- C'est pas con ce que tu dis.
- Le Xanax ?
- Si on invente un truc, qui permet de communiquer, de réagir à ce que font les autres et de participer à leur vie MAIS qui ne soit dépendant ni de réseau, ni de batterie, ni d'un stagiaire...
Elle le fixa et comme si une épiphanie venait de se présenter :
- Un truc genre...
- Non ok chut,
- Nan mais donc un truc comme...
- C'est bon, j'ai compris t'es pas obligée de le dire,
- Nan mais attends du coup un truc du style...
- Bon vas-y dis le.
- La parole ?
- Ah. Ah. Ah. Super, t'es contente ? +1€ dans la tirelire à réflexions réac.
Le bus venait d'apparaître à l'horizon.
- Viens on prend le suivant, lui dit-elle avec des yeux quasi suppliants,
- Mais pourquoi ? Y'aura personne à cette heure, le prochain est dans je sais pas combien de temps, il commence à faire hyper froid et...
- Steuplait, on est bien là.
Comme aucun des deux ne lui fit signe, le bus ne s'arrêta pas et continua sa route entre les lampadaires qui éclairaient de plus en plus.
- Bon allez, raconte-moi maintenant.
- De quoi ?
- Allez arrête ton teasing, je crève d'impatience...
- Non mais de quoi ?
- Tu discutes avec tes potes morts sur des forums en 2021, faut absolument que tu m'expliques ça.
Ce texte a été rédigé par une étudiante ou un étudiant dans le cadre d'un atelier d'écriture de création dispensé par Alice Zeniter, titulaire de la Chaire d'écrivain en résidence du Centre d'écriture et de rhétorique de Sciences Po, au semestre d'automne 2021.
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