Soleil, soleil

emerick le goff

emerick le goff

A peine arrivé je remarquais le ciel gris, gris-blanc, gris lumineux, le ciel gris laiteux plaqué sur la ville et tout le pays je crois, c'est ce que je pensais, on m'avait prévenu de ça, la ville et le pays, je savais qu'il s'agissait d'une ville grise car nuageuse mais nuageuse à ce point pourquoi et cela m'intriguait tant : s'agissait-il d'un couvercle un grand couvercle posé sur une casserole de foules habituées et pour elles est-ce que cela importait ? Les nuages allaient rester dans le ciel et le ciel allait rester sur la ville, la ville et ses habitants, le ciel sur ses marchés, il allait rester et tout couvrir comme il l'avait toujours fait et c'était dramatique d'y penser mais cela me faisait du bien, de savoir le ciel, toujours, comme énigme à laquelle me fier ; et régulièrement j'étendais mon regard sur cette nappe terne et sans fin, ce tissu à peine piqué par les tours, celles-là si petites sur le bord de la ville si petites en bas des nuages les tours magnifiques et ridicules qui embrassent le serpent vert qui se tord le long de la plage et c'est comme une surprise oui quelle surprise j'y pense (!), cela m'y fait penser, on ne le devine pas si on ne le sait pas, c'est vrai tout est bouché, on n'y songe pas si on ne le croit pas mais la ville est bordée par l'océan. Le Pacifique. On ne voit pas les vagues, ce que je dis, on ne les voit pas mais comment pourrait-on ? Le ciel est dans la mer et la mer est sous le ciel et il est impossible, je crois, de distinguer l'un de l'autre et cela fait certainement de la ville, je suppose, ce que je me disais, cela fait certainement de cette ville une miniature piégée dans une boule à neige seulement la neige n'existe pas et tout est poussière. C'est une cité terreuse perchée dans les nuages et l'air que l'on respire est parfumé de terre et le poisson qu'on achète est recouvert de terre et les plantes sont sèches et étouffées par la terre et le linge est rêche et jamais vraiment blanc. C'est une ville du désert ; on ne s'en rend pas compte, du premier coup ce n'est pas facile, parfois je ne l'imagine pas mais c'est une ville assise dans le sable et cela a toujours été le cas. Les habitants le savent et jamais ils ne me le diront mais dans les chantiers de la ville, au pied des grues - et il y en a beaucoup pour la construction de la ville -, pour la construction de la ville, depuis des années, on utilise le sable du désert qui est fait de dunes et les dunes qui sont faites de sable on l'avait bien compris et ainsi, évidement, la ville avale des dunes géantes qui sont là mais qu'on ne voit pas, des dunes loin donc petites et oubliables. Et par-dessus encore, je m'étais renseigné, par-dessus le désert il y a des montagnes tout aussi grandes que les bâtiments de la ville, et d'autres plus hautes encore (ce qu'on dit) ; aux confins de la ville, donc, il y a des montagnes sur lesquelles les rues grimpent et où les plus pauvres grimpent aussi pour s'y installer un temps et y mourir rapidement. Et parfois on parle d'eux, je le devine, je le comprends, dans la rue on parle d'eux mais jamais on ne pleure, le sort de ceux des montagnes s'ébruite à peine et c'est logique, dans la ville, on le chuchote. Là-bas dit-on, là-bas on est réveillés tout le temps le matin tout le temps là-bas réveillés par les chiens qui jappent désespérément et qui courent autour des corps, qui courent car quelqu'un est mort, et les gens pleurent jusqu'au cimetière et c'est triste, c'est triste, ce cimetière coloré là-bas berceau dans la vallée où les prières sont emportées et ne s'exaucent jamais ; là-bas, c'est ce qu'on dit, là-bas. La ville, tout compte fait, je crois que c'est ça (et les habitants ne me le diront pas), la ville s'étale plus sur les montagnes qu'elle ne repose sur le désert, et partout on sait et toujours on sent que derrière les nuages il y a la tristesse, cette tristesse qui naît de la misère et cette misère qui sème la colère, la colère des gens qui meurent de soif et de faim sans ordre précis mais de soif et de faim les populations qui crèvent et cela m'écrase et c'est comme le ciel, une vérité certaine qui me dit que même dans la ville, sous les nuages, la mer, les montagnes, et le désert, tout est cruellement humain et je suis bel et bien sur Terre.


Ce texte a été rédigé par un(e) étudiant(e) ayant participé à l'atelier d'écriture de création "De la lecture à l'écriture" dispensé par Isabelle Carré au Centre d'écriture et de rhétorique de Sciences Po au semestre de printemps 2023.

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