Poésie
3 min
Quand le monde ne répond plus
Loqmane JAMIL
Quand le monde ne répond plus - Rencontre avec Victor Hugo (Concours d'écriture Alumni 2024)
Quand le monde ne répond plus, que règne le silence,
Que la nuit fait son œuvre et qu’on s’endort en France,
Aux frontières du sommeil, toujours me vient ce songe,
Chaque nuit il s’étend, s’étire et se prolonge.
Sur la place de l'église d'un village normand,
Assis seul, un matin, à regarder les arbres,
Un vieil homme figé comme une statue de marbre,
Attire mon attention. Je m'arrête un instant.
Habillé comme s'il venait d'une autre époque,
Il porte une redingote. Certains passants se moquent.
Sa moustache, sa barbe blanche, sont soigneusement taillées,
Je lui trouve de l'allure, et un air familier.
Je m'approche de lui puis m'assieds sur son banc.
Il a le front auguste d'un homme en peine.
Dans ses rides profondes, le sceau noir du tourment.
Son regard se porte sur les rives de la Seine.
Dans ses mains, un bouquet de houx et de bruyères.
Un vieillard fatigué par une vie de misère.
Ses yeux mouillés de larmes qui ne coulent pas encore.
C'est ainsi que je fais la rencontre de Victor.
"C'est là-bas, dans les eaux", me dit-il soudainement.
Il désigne l'endroit d'un index tremblant.
"Elle était avec Charles Vacquerie, son époux.
Elle est donc morte heureuse. Et sans peine. Qu'en dites-vous ?"
"Léopoldine ?" Dis-je. Il acquiesce doucement.
"Vous savez, elle n'avait pas encore vingt ans.
Le bel âge, comme on dit. Quand on a de l'espoir,
Des rêves plein les yeux, et qu'on veille le soir."
Sur son épaule courbée, ma main compatissante.
"Elle n'aura pas souffert". Il veut que je lui mente.
"Et bientôt, vous savez, nous nous retrouverons".
"Dans les cieux" affirme-t-il. " C'est là ma conviction".
Je ne lui réponds pas. Que dire face à la mort ?
J'aimerais lui offrir un peu de réconfort.
Mais qui suis-je pour comprendre la douleur de Victor ?
Quand l'enfant que l'on aime vous est pris par le sort ?
La force de son poème, du nom de cette bourgade,
"A Villequier" où sa fille est morte par noyade,
A ébranlé mon âme, m'a soufflé comme une feuille.
Et j'ai porté sa croix. Et j'ai porté son deuil.
Vous qui passez par-là, d'un air indifférent.
Ou d'un sourire narquois, peu importe, vraiment.
Prenez quelques minutes. Allez lire ce poème.
Imprégnez-vous de son tragique requiem.
Les minutes s'écoulent. Au loin sur le rivage,
De jeunes gens rient trop fort, comme il faut à cet âge.
Ils nagent dans les eaux, s'éclaboussent, se chamaillent.
Victor semble apprécier leur vigueur et leur gouaille.
Ce fut lui, après tout, qui nous décrit Gavroche.
Le gamin de Paris qui vous faisait les poches.
Qui chantait à tue-tête en haut des barricades,
Qui mourut soudainement dans une dernière cascade.
C'était cet homme digne qui m'a ému aux larmes,
Quand il conta la mort de Javert le gendarme.
Une noyade, une de plus, dans les eaux de la Seine.
Un trépas romanesque pour une fin parisienne.
"Et vous alors?" dit-il. "Pourquoi êtes-vous ici ?
Avez-vous des affaires à suivre en Normandie ?"
"Pas vraiment", avoué-je. C'est une affaire privée.
Un voyage du cœur pour voir votre musée."
"Mon musée ?" s'étonne-t-il. J'acquiesce en souriant.
"Dans la demeure de Charles et de ses descendants".
"Quelle idée saugrenue", maugrée le vieux Victor.
Il rougit. Est-ce le vin ou bien le vent du Nord ?
"Cher Victor", lui dis-je, "je vous admire. Vraiment.
Vos principes, vos idées, vos poèmes, vos romans.
J'ai tout lu de votre oeuvre.... Ou le plus important.
J'aurais aimé vous voir quand vous étiez vivant.
J'ai trouvé dans chacune de vos indignations,
La colère sacrée de la France des faubourgs.
L'humanité, en somme, qui survit chaque jour.
J'ai vu en vous un homme de la Révolution."
En réponse, il esquisse simplement un sourire,
Qui disparaît bientôt sous le poids qui l'accable.
Un homme qui s'est battu sans répit contre l'empire.
Et qui dans sa légende, reste simple et aimable.
"Et vous êtes ?" demande-t-il d'un air bienveillant.
"Un écrivain médiocre mais heureux par moment,
Romantique quand j'écris, pragmatique autrement.
Je suis juste un homme qui aime vos romans".
"Ne soyez pas si dur. Vous savez j'ai connu,
La gloire comme l'exil. Aux deux, j'ai survécu.
Si vous aimez écrire, n'est-ce pas suffisant ?
Peu importe si vous avez vraiment du talent."
"Je m'y emploie", lui dis-je, "mais certes, bien moins souvent,
Que j'aimerais car maintenant j'ai une femme, un enfant.
La vie coule comme un fleuve, parfois comment un torrent.
Je navigue dans ses eaux, je maîtrise ses courants.
La poésie lyrique et les romans classiques,
Les tragédies sociales et les légendes épiques.
Je vous lis, vous copie, vous écris, vous envie.
Car vous m'avez ému et vous m'avez appris."
Victor Hugo se lève. Et je fais comme lui.
"C'est assez", me dit-il, "Vous en avez trop dit."
Il me donne son bouquet comme pour me consoler.
"Restez un romantique, c'est cela qui vous sied."
"Je dois rejoindre ma fille. Voyez-vous, elle m'attend."
Il avance vers la Seine, l'air serein, d'un pas lent.
Il m'adresse un sourire puis disparaît dans l'eau,
Et s'achève ma rencontre avec Victor Hugo.
Quand le monde ne répond plus, que règne le silence,
Que la nuit fait son œuvre et qu’on s’endort en France,
Aux frontières du sommeil, toujours me vient ce songe,
Chaque nuit il s’étend, s’étire et se prolonge.
Sur la place de l'église d'un village normand,
Assis seul, un matin, à regarder les arbres,
Un vieil homme figé comme une statue de marbre,
Attire mon attention. Je m'arrête un instant.
Habillé comme s'il venait d'une autre époque,
Il porte une redingote. Certains passants se moquent.
Sa moustache, sa barbe blanche, sont soigneusement taillées,
Je lui trouve de l'allure, et un air familier.
Je m'approche de lui puis m'assieds sur son banc.
Il a le front auguste d'un homme en peine.
Dans ses rides profondes, le sceau noir du tourment.
Son regard se porte sur les rives de la Seine.
Dans ses mains, un bouquet de houx et de bruyères.
Un vieillard fatigué par une vie de misère.
Ses yeux mouillés de larmes qui ne coulent pas encore.
C'est ainsi que je fais la rencontre de Victor.
"C'est là-bas, dans les eaux", me dit-il soudainement.
Il désigne l'endroit d'un index tremblant.
"Elle était avec Charles Vacquerie, son époux.
Elle est donc morte heureuse. Et sans peine. Qu'en dites-vous ?"
"Léopoldine ?" Dis-je. Il acquiesce doucement.
"Vous savez, elle n'avait pas encore vingt ans.
Le bel âge, comme on dit. Quand on a de l'espoir,
Des rêves plein les yeux, et qu'on veille le soir."
Sur son épaule courbée, ma main compatissante.
"Elle n'aura pas souffert". Il veut que je lui mente.
"Et bientôt, vous savez, nous nous retrouverons".
"Dans les cieux" affirme-t-il. " C'est là ma conviction".
Je ne lui réponds pas. Que dire face à la mort ?
J'aimerais lui offrir un peu de réconfort.
Mais qui suis-je pour comprendre la douleur de Victor ?
Quand l'enfant que l'on aime vous est pris par le sort ?
La force de son poème, du nom de cette bourgade,
"A Villequier" où sa fille est morte par noyade,
A ébranlé mon âme, m'a soufflé comme une feuille.
Et j'ai porté sa croix. Et j'ai porté son deuil.
Vous qui passez par-là, d'un air indifférent.
Ou d'un sourire narquois, peu importe, vraiment.
Prenez quelques minutes. Allez lire ce poème.
Imprégnez-vous de son tragique requiem.
Les minutes s'écoulent. Au loin sur le rivage,
De jeunes gens rient trop fort, comme il faut à cet âge.
Ils nagent dans les eaux, s'éclaboussent, se chamaillent.
Victor semble apprécier leur vigueur et leur gouaille.
Ce fut lui, après tout, qui nous décrit Gavroche.
Le gamin de Paris qui vous faisait les poches.
Qui chantait à tue-tête en haut des barricades,
Qui mourut soudainement dans une dernière cascade.
C'était cet homme digne qui m'a ému aux larmes,
Quand il conta la mort de Javert le gendarme.
Une noyade, une de plus, dans les eaux de la Seine.
Un trépas romanesque pour une fin parisienne.
"Et vous alors?" dit-il. "Pourquoi êtes-vous ici ?
Avez-vous des affaires à suivre en Normandie ?"
"Pas vraiment", avoué-je. C'est une affaire privée.
Un voyage du cœur pour voir votre musée."
"Mon musée ?" s'étonne-t-il. J'acquiesce en souriant.
"Dans la demeure de Charles et de ses descendants".
"Quelle idée saugrenue", maugrée le vieux Victor.
Il rougit. Est-ce le vin ou bien le vent du Nord ?
"Cher Victor", lui dis-je, "je vous admire. Vraiment.
Vos principes, vos idées, vos poèmes, vos romans.
J'ai tout lu de votre oeuvre.... Ou le plus important.
J'aurais aimé vous voir quand vous étiez vivant.
J'ai trouvé dans chacune de vos indignations,
La colère sacrée de la France des faubourgs.
L'humanité, en somme, qui survit chaque jour.
J'ai vu en vous un homme de la Révolution."
En réponse, il esquisse simplement un sourire,
Qui disparaît bientôt sous le poids qui l'accable.
Un homme qui s'est battu sans répit contre l'empire.
Et qui dans sa légende, reste simple et aimable.
"Et vous êtes ?" demande-t-il d'un air bienveillant.
"Un écrivain médiocre mais heureux par moment,
Romantique quand j'écris, pragmatique autrement.
Je suis juste un homme qui aime vos romans".
"Ne soyez pas si dur. Vous savez j'ai connu,
La gloire comme l'exil. Aux deux, j'ai survécu.
Si vous aimez écrire, n'est-ce pas suffisant ?
Peu importe si vous avez vraiment du talent."
"Je m'y emploie", lui dis-je, "mais certes, bien moins souvent,
Que j'aimerais car maintenant j'ai une femme, un enfant.
La vie coule comme un fleuve, parfois comment un torrent.
Je navigue dans ses eaux, je maîtrise ses courants.
La poésie lyrique et les romans classiques,
Les tragédies sociales et les légendes épiques.
Je vous lis, vous copie, vous écris, vous envie.
Car vous m'avez ému et vous m'avez appris."
Victor Hugo se lève. Et je fais comme lui.
"C'est assez", me dit-il, "Vous en avez trop dit."
Il me donne son bouquet comme pour me consoler.
"Restez un romantique, c'est cela qui vous sied."
"Je dois rejoindre ma fille. Voyez-vous, elle m'attend."
Il avance vers la Seine, l'air serein, d'un pas lent.
Il m'adresse un sourire puis disparaît dans l'eau,
Et s'achève ma rencontre avec Victor Hugo.
Ce texte a été rédigé dans le cadre du concours d'histoires courtes des Alumni 2024, proposé par le club Littérature des Alumni et le Centre d'écriture et de rhétorique, et ouvert aux étudiants alumni de Sciences Po.
Ici, on lit et on écrit des histoires courtes
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