Fiction
2 min
Le piaf, la Mort et Papa
Cyril Garrech-Casanova
Aujourd’hui, j’suis mort.
J’dois dire que j’redoutais quand même ce moment. J’pense y avoir pensé la première fois quand j’avais cinq ou six ans et qu’j’ai vu la tête d’un pauvre pigeon éclater sous les coups de George, mon voisin taré en classe spécialisée. George était gros, moche et fou, avec un visage de la taille d’une pastèque. Mais au fond, c’était un bon gars. J’me demande c’qu’il est devenu. Bref, ce jour-là, le pauvre pigeon trépasse.
Et j’me dis : « Merde alors, v’là qu’il est mort ! ». Ses yeux regardaient un peu nulle part. Son corps était à la fois tout mou et tout inerte, mais ses petites pattes étaient raides comme une planche de bois.
J’me dis : « Merde alors, v’là qu’il est bien mort le piaf ! ». Ni une ni deux, j’prends mes guiboles à mon cou, j’laisse le taré de George avec le cadavre et j’m’en vais hurler dans les oreilles de mon père.
Papa était si intelligent. Il savait tout mon père. J’crois pas qu’il y ait une seule chose qu’il savait pas.
Il avait des grosses lunettes qui ressemblaient à de grosses vitres de magasins et une barbe de bûcheron toute noire. Et quand il parlait, il touchait toujours sa grosse barbe. Maman disait que c’était une manie qu’il avait pour réfléchir encore plus. Bref, j’vais le voir et j’lui hurle : « Il s’passe quoi quand on meurt Papa ? ».
Il m’zieute avec ses grands yeux, mais toujours avec un calme de professeur. Ses yeux étaient noirs et pleins de lumière. Il m’regarde et m’dit : « Oh tu sais mon garçon, quand on meurt, on disparaît comme ça. D’un coup, on n’existe plus. » J’écoute c’qu’il avait à dire en tapant du pied, les bras croisés. Et j’lui dis, parce que j’étais quand même vachement anxieux : « Mais, j’veux pas mourir moi. Ça m’fout les jetons Papa ! ».
Mais Papa, il savait toujours réagir à tout. Il aurait pu être président ou chargé d’accueil à la mairie du coin. Il savait dire des trucs affreux avec tellement de calme qu’en l’écoutant on avait l’impression que c’était pas grave du tout. Il m’répond, parce qu’il voyait que j’commençais à m’agiter dans tous les sens, les bras en l’air : « Oh tu sais mon garçon, quand tu mourras, tu ne t’en rendras même pas compte. Pourquoi s’en soucier ? ».
Ce soir d’été, quand j’suis mort alors que j’pensais jamais mourir, j’ai pensé à ce pauvre piaf que George le taré avait tué. Puis j’ai pensé à Papa qui m’attendait quelque part dans ce drôle de vide.
Un vide qui sentait le vent chaud et le pin.
J’étais mort, d’un coup, comme ça. Et j’m’en étais même pas rendu compte.
Décidément Papa, il avait toujours raison.
J’dois dire que j’redoutais quand même ce moment. J’pense y avoir pensé la première fois quand j’avais cinq ou six ans et qu’j’ai vu la tête d’un pauvre pigeon éclater sous les coups de George, mon voisin taré en classe spécialisée. George était gros, moche et fou, avec un visage de la taille d’une pastèque. Mais au fond, c’était un bon gars. J’me demande c’qu’il est devenu. Bref, ce jour-là, le pauvre pigeon trépasse.
Et j’me dis : « Merde alors, v’là qu’il est mort ! ». Ses yeux regardaient un peu nulle part. Son corps était à la fois tout mou et tout inerte, mais ses petites pattes étaient raides comme une planche de bois.
J’me dis : « Merde alors, v’là qu’il est bien mort le piaf ! ». Ni une ni deux, j’prends mes guiboles à mon cou, j’laisse le taré de George avec le cadavre et j’m’en vais hurler dans les oreilles de mon père.
Papa était si intelligent. Il savait tout mon père. J’crois pas qu’il y ait une seule chose qu’il savait pas.
Il avait des grosses lunettes qui ressemblaient à de grosses vitres de magasins et une barbe de bûcheron toute noire. Et quand il parlait, il touchait toujours sa grosse barbe. Maman disait que c’était une manie qu’il avait pour réfléchir encore plus. Bref, j’vais le voir et j’lui hurle : « Il s’passe quoi quand on meurt Papa ? ».
Il m’zieute avec ses grands yeux, mais toujours avec un calme de professeur. Ses yeux étaient noirs et pleins de lumière. Il m’regarde et m’dit : « Oh tu sais mon garçon, quand on meurt, on disparaît comme ça. D’un coup, on n’existe plus. » J’écoute c’qu’il avait à dire en tapant du pied, les bras croisés. Et j’lui dis, parce que j’étais quand même vachement anxieux : « Mais, j’veux pas mourir moi. Ça m’fout les jetons Papa ! ».
Mais Papa, il savait toujours réagir à tout. Il aurait pu être président ou chargé d’accueil à la mairie du coin. Il savait dire des trucs affreux avec tellement de calme qu’en l’écoutant on avait l’impression que c’était pas grave du tout. Il m’répond, parce qu’il voyait que j’commençais à m’agiter dans tous les sens, les bras en l’air : « Oh tu sais mon garçon, quand tu mourras, tu ne t’en rendras même pas compte. Pourquoi s’en soucier ? ».
Ce soir d’été, quand j’suis mort alors que j’pensais jamais mourir, j’ai pensé à ce pauvre piaf que George le taré avait tué. Puis j’ai pensé à Papa qui m’attendait quelque part dans ce drôle de vide.
Un vide qui sentait le vent chaud et le pin.
J’étais mort, d’un coup, comme ça. Et j’m’en étais même pas rendu compte.
Décidément Papa, il avait toujours raison.
Ce texte a été rédigé dans le cadre du concours d'histoires courtes des Alumni 2024, proposé par le club Littérature des Alumni et le Centre d'écriture et de rhétorique, et ouvert aux étudiants alumni de Sciences Po.
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