La lecture précède l'écriture ?

Valentine G

Valentine G

    Il y a quelques semaines j’ai lu L’Échiquier, de Jean-Philippe Toussaint. Au milieu de la centaine de pages, cette phrase : « dans un livre, un échange d’intelligence et de sensibilité peut s’opérer entre l’auteur et le lecteur ». Rien à voir avec les échecs donc, mais je souligne le passage au crayon à papier, comme j’en ai l’habitude lorsqu’une phrase, une formule, un mot me plaît, qu’il me semble qu’il s’est justement opéré entre l’auteur et moi cet échange d’intelligence et de sensibilité. 


   C’est peut-être pour ça que j’écris. Pour que quelqu’un, un jour, sorte un crayon et souligne quelques mots d’un de mes textes. Je pense que je n’ai pas trouvé meilleur moyen de communiquer : ma pensée, à l’oral je la trahis, à l’écrit il me semble qu’elle s’éclaircit. 


   Une autre phrase, prononcée par ma mère cette fois, au détour d’un dîner familial. Elle s’imaginait invitée à La Grande Librairie : « si on me demandait qu’est-ce qu’un livre pour vous je répondrais un livre c’est un compagnon ». Naturellement je me suis d’abord foutue d’elle ; pourquoi serait-elle invitée à La Grande Librairie quand le texte qu’elle lit le plus au quotidien c’est le Code de procédure civile, et puis cette phrase convenue, faussement profonde, prononcée avec emphase, « un livre c’est un compagnon ». Mais c’est vrai. Ça paraît un peu con mais c’est vrai. Il est des livres dont les personnages, l’atmosphère, certaines phrases me semblent parfois m’envelopper des jours durant, parfois des mois, des années ; des livres dont je me rappelle avec précision les conditions de ma première lecture, le lieu, le bruit de fond, la température, comme on se souviendrait de sa première rencontre avec une personne aimée. Des livres que je relis, mais qui ne me font plus le même effet, comme une personne que l’on aurait aimée (et que l’on reverrait quelques années après). 


    Je pense que chez moi c’est donc la lecture qui précède l’écriture. D’ailleurs, avant d’écrire, on conseille parfois de lire quelques pages, comme un échauffement, comme une danseuse qui ferait ses exercices à la barre avant de passer aux choses sérieuses, le milieu, la scène. Écrire c’est donc avant tout lire, mais, une fois le stylo posé sur le papier, les mains sur le clavier, tout oublier, se rendre comme vierge de toute lecture, ne surtout pas imiter, se comparer, se censurer, seulement oublier les siècles de littérature reçus en héritage, s’y lancer à corps perdu, le grand plongeon - tant pis si ça cogne au passage. 



Ce texte a été rédigé par un(e) étudiant(e) ayant participé à l'atelier d'écriture de création "La littérature du réel et l’écriture du fait divers dans la fiction et la non-fiction" dispensé par Karine Tuil, titulaire de la Chaire d'écrivain en résidence du Centre d'écriture et de rhétorique de Sciences Po, au semestre d'automne 2023.

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