Nouvelle
2 min
La fenêtre de Madame Taylor
Irune Ordax-Avecilla Murillo
Il est de nouveau vendredi soir. J’entends déjà les talons claquer sur les vieux escaliers, les fous rires des jeunes femmes, les klaxons des taxis. C’est tout New York qui célèbre l’arrivée du week-end.
Comme chaque vendredi, j’ai repassé les chemises de Jacques, je les ai triées minutieusement et rangées par couleur comme il les aime. Toutes les chaussures sont alignées et sa paire brune, celle du dimanche, brille plus que les autres. À côté du journal du jour, un nouveau bouquet de violettes orne la table du salon. La pièce est impeccablement rangée. L’odeur de roast-beef et de purée de patates semble déjà se dissiper. Je sais que le dîner refroidit, mais je m'interdis d’aller voir. Il ne manque plus que lui, et il est en retard. Fixer son fauteuil vide m’est insupportable. Pour ne plus le voir, je m’y installe et je m’enfonce dans son trône de cuir. Mes muscles se détendent, me supplient d’arrêter toutes ces tâches. Assise ici pour la première fois, je remarque qu’on voit parfaitement le salon vert des voisins d'en face.
La charmante Madame Taylor est particulièrement belle ce soir. Sa robe orangée et sa chevelure noire impeccablement coiffée font briller sa peau blanche. Moi aussi, avant, je passais des heures dans cet art de la coquetterie. Je ris en imaginant Jacques déplacer son fauteuil, l’alignant parfaitement avec la fenêtre. D’ici on arriverait presque à sentir le parfum de Madame Taylor. J’imagine encore mon mari détournant discrètement son regard de la section politique du journal vers la voisine sans qu’elle s’en aperçoive, comme un adolescent embarrassé. Moi je suis moins discrète, de toute façon on remarque rarement les regards des femmes comme moi.
La porte s’ouvre, c’est Monsieur Taylor. À une époque j'aurais trouvé séduisante son allure un peu sauvage après une journée à Wall Street. Avant, elle lui allait si bien cette allure, à mon Jacques.
Sans un regard pour sa femme, Monsieur retire son manteau, lui tend, s’assoit dans son fauteuil rouge et ouvre son journal. Leurs lèvres ne bougent pas. Madame quitte le salon avec le manteau, revient, le regarde longtemps, fait le tour de la pièce en se dandinant. Elle semble découvrir ses propres tableaux, lance des regards furtifs à son mari. Il redresse la tête par moment, mais il choisit son journal.
Madame se rassoit, vaincue. Comme un enfant ennuyé, elle commence à jouer avec les touches du piano. Brusquement, elle se lève et fait face à son mari. Est-ce qu’il lui a parlé ? Mais non, c’est moi qu’elle regarde. Son visage se tend, mon cœur s'accélère, mes mains deviennent moites. Je redeviens la jeune fille qui se fait surprendre à essayer en secret les robes de maman. J’essaye de disparaître dans le fauteuil.
J’attends la punition, que Madame tire brusquement les rideaux. Mais elle me sourit, attrape son manteau et s’exclame si fort que d’ici je peux l’entendre dire “Moi, je sors”. Monsieur reste là, collé à son fauteuil, à fixer la porte qu’elle a claquée derrière elle.
“Quel toupet !”. Je n’avais même pas entendu Jacques arriver.
Irune Ordax, Clara Benet Burgaud, Blanche De Bosschere
Comme chaque vendredi, j’ai repassé les chemises de Jacques, je les ai triées minutieusement et rangées par couleur comme il les aime. Toutes les chaussures sont alignées et sa paire brune, celle du dimanche, brille plus que les autres. À côté du journal du jour, un nouveau bouquet de violettes orne la table du salon. La pièce est impeccablement rangée. L’odeur de roast-beef et de purée de patates semble déjà se dissiper. Je sais que le dîner refroidit, mais je m'interdis d’aller voir. Il ne manque plus que lui, et il est en retard. Fixer son fauteuil vide m’est insupportable. Pour ne plus le voir, je m’y installe et je m’enfonce dans son trône de cuir. Mes muscles se détendent, me supplient d’arrêter toutes ces tâches. Assise ici pour la première fois, je remarque qu’on voit parfaitement le salon vert des voisins d'en face.
La charmante Madame Taylor est particulièrement belle ce soir. Sa robe orangée et sa chevelure noire impeccablement coiffée font briller sa peau blanche. Moi aussi, avant, je passais des heures dans cet art de la coquetterie. Je ris en imaginant Jacques déplacer son fauteuil, l’alignant parfaitement avec la fenêtre. D’ici on arriverait presque à sentir le parfum de Madame Taylor. J’imagine encore mon mari détournant discrètement son regard de la section politique du journal vers la voisine sans qu’elle s’en aperçoive, comme un adolescent embarrassé. Moi je suis moins discrète, de toute façon on remarque rarement les regards des femmes comme moi.
La porte s’ouvre, c’est Monsieur Taylor. À une époque j'aurais trouvé séduisante son allure un peu sauvage après une journée à Wall Street. Avant, elle lui allait si bien cette allure, à mon Jacques.
Sans un regard pour sa femme, Monsieur retire son manteau, lui tend, s’assoit dans son fauteuil rouge et ouvre son journal. Leurs lèvres ne bougent pas. Madame quitte le salon avec le manteau, revient, le regarde longtemps, fait le tour de la pièce en se dandinant. Elle semble découvrir ses propres tableaux, lance des regards furtifs à son mari. Il redresse la tête par moment, mais il choisit son journal.
Madame se rassoit, vaincue. Comme un enfant ennuyé, elle commence à jouer avec les touches du piano. Brusquement, elle se lève et fait face à son mari. Est-ce qu’il lui a parlé ? Mais non, c’est moi qu’elle regarde. Son visage se tend, mon cœur s'accélère, mes mains deviennent moites. Je redeviens la jeune fille qui se fait surprendre à essayer en secret les robes de maman. J’essaye de disparaître dans le fauteuil.
J’attends la punition, que Madame tire brusquement les rideaux. Mais elle me sourit, attrape son manteau et s’exclame si fort que d’ici je peux l’entendre dire “Moi, je sors”. Monsieur reste là, collé à son fauteuil, à fixer la porte qu’elle a claquée derrière elle.
“Quel toupet !”. Je n’avais même pas entendu Jacques arriver.
Irune Ordax, Clara Benet Burgaud, Blanche De Bosschere
Ce texte a été rédigé par un(e) étudiant(e) ayant participé à l'atelier d'écriture de création "La forme d’une histoire" dispensé par Nathacha Appanah, titulaire de la Chaire d'écrivain en résidence du Centre d'écriture et de rhétorique de Sciences Po, au semestre d'automne 2022.
Ici, on lit et on écrit des histoires courtes
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