Fragments de Marie
Valentine G
Moi, l’image que je garde de Marie, c’est un carré en soie savamment noué autour du cou et des lèvres rouge vif quand ses colocataires ont définitivement renoncé : pour eux, c’est la chemise de nuit informe et les cheveux lavés quand l’aide-soignante y pense, qu’elle a le temps surtout. C’est Marie qui insiste pour se déplacer seule, sans déambulateur, une canne à la limite, s’il fallait ramper elle l’aurait fait - et sans hésiter. C’est Marie qui ne veut pas avaler la bouffe sous vide et mal décongelée qu’on lui sert dans un réfectoire dont la simple vue donnerait à n’importe qui l’envie d’en finir (et vite, s’il vous plaît). C’est Marie qui jusqu’au bout enchaîne les bouquins, bons comme mauvais, ses parents lui ont fait arrêter l’école à douze ans, alors elle veut montrer qu’elle peut, qu’elle sait. C’est Marie qui, soufflant ses quatre-vingt-douze bougies – les quatre-vingt-treize ne seront jamais soufflées – a les yeux qui pétillent quand trois générations lui chantent joyeux anniversaire.
Marie, c’est Marie qui n’a jamais renoncé, même dans l’EHPAD voleur de dignité, si bien que dans la communauté des presque grabataires on la surnommait, avec une déférence, j’en suis sûre, pas si ironique, la reine mère.