(sans titre)

Loqmane JAMIL

Loqmane JAMIL

C'est une méprise qui allait me poursuivre longtemps,
L'arrogance d'un jeune, une erreur de jugement.
Celle de croire que les drames épargnent les élus,
Qu'ils ne touchent que les gueux, les faibles et les vaincus.

Voyez-vous, j'étais jeune et j'avais du talent,
J'étais beau et studieux, le parfait étudiant.
Diplômé de Sciences Po, voulant voir du pays,
Je décidai d'aller vivre aux États-Unis.

Je trouvai un travail, consultant en finances,
Profession, convenez-en, de première importance.
J'y consacrais mon temps et toute mon énergie,
J'excellai rapidement, y sacrifiant mes nuits.

Je gagnais de l'argent mais devenais avare,
Contestais l'addition, et de mesquins pourboires.
Ma fortune s'amassait, j'achetais des actions,
Même des bons du Trésor, et des obligations.

Consultant en finances, cela paye très bien,
A Wall Street surtout, vous êtes presque un saint.
L'aventure s'offre à vous, les plaisirs éphémères,
Durent pour toujours dans cette ville des lumières.

Puis un jour, le destin vint contrarier mes plans.
Car ma mère, capricieuse, voulut voir son enfant.
Impossible ! disais-je, sais-tu combien ça coûte,
Un ticket de retour ? Ce serait la banqueroute !

J'ai bien trop de travail, tu ne peux pas comprendre.
Tu te sens vraiment mal ? Ne joue pas les Cassandre.
Je viendrai en été, c'est promis, chère maman.
L'entreprise me paiera pour mon déplacement.

Mais que savent les enfants du chagrin des parents ?
Que savent-ils de ces yeux fatigués, larmoyants ?
Pourquoi ne voient-ils pas par quels cruels tourments,
Doit passer le vieil âge, quand il n'a que le temps ?

Et ma mère insista, sans me dire la raison,
A l'été, répétais-je, attendons, attendons !
Et en France, ma chère mère vint à cracher du sang,
Cancer du pancréas, agressif, fulgurant.

La suite de cette histoire, vous la connaissez tous,
Une mère qui meurt tôt, et un fils absent,
Occupé à prouver qu'il avait du talent,
Oubliant sa dette envers sa mère si douce.

Que de larmes ai-je versées sur ta tombe discrète,
Sans gravure ni dorures, sans herbe et sans pâquerette.
Juste un mur de granit, entre ton corps et moi.
Et mon cœur brisé d'avoir été si froid.

Allongé sur ta tombe, sens-tu donc la chaleur,
De ma main, de mon front, de ma joue, de mon cœur ?
Par delà le tombeau, peux-tu sentir l'étreinte,
De l'orphelin en pleurs. Entends-tu sa complainte ?

Avais-tu quelque parole à me dire en personne ?
De ces choses qu'on ne peut pas dire au téléphone ?
Un secret, un souvenir, un conseil, un regret ?
Une requête, un désir, ou était-ce un souhait ?

Tu étais fière, bien sûr, de ma belle réussite,
Toi la femme d'ouvrier, toi la mère de mérite,
Mais que vaut tout cela, quand l'être que l'on aime,
Vous oublie dans un club de jazz à Harlem ?

Et maintenant que tu n'es plus faite de chair,
Que ton âme se déploie dans l'ultime lumière,
Et que tous les malheurs qui ont brisé ton âme,
Sont restés sur la terre avec ton corps de femme.

Maintenant que tu joues sous les voûtes éthérées,
Que ton âme se promène dans des jardins dorés,
Maintenant, ma chère mère, peux-tu me pardonner ?
D'avoir été si dur, de t'avoir ignorée ?

La tombe ne répond pas. Pas plus que toi, maman.
Et tu sais comme, depuis que je suis un enfant,
On me dit à quel point je suis intelligent,
On vante mes mérites, mon savoir, mon talent.

Et pourtant n'ai-je pas oublié l'important ?
Je ne suis qu'un jeune sot. Et en hommage posthume,
Désormais esseulé, je donnerais ma fortune,
Contre un peu de sagesse et un peu de ton temps.



Une histoire bien simple et moralisatrice,
Répétée mille fois, mille fois oubliée,
Aux saveurs trop rances, comme un fruit gâté.
L'histoire maternelle d'un éternel supplice.

Mes excuses si le thème ne plaît pas au jury.
Un poème sur la mort lors d'une garden-party ?
Mais le thème pourtant, n'est pas tant de la mort,
Que du temps qui s'en va, et aussi les remords.

Victor Hugo savait, en son temps, en parler,
Ses poèmes m'ont touché, ont fait vibrer mon être,
Ses poèmes sur le deuil, ses romans indignés,
Considérez ces vers comme un hommage au maître.

Ici, on lit et on écrit des histoires courtes

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