Atelier d'écriture - Incipit de l’Etranger
Violette DELAFARGUE
Aujourd’hui, mamie est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un SMS ce matin : “Mamie est morte. Rentre à la maison.”. Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. Je suis rentrée à la maison.
Cela ne m’a pas surpris. Elle n’allait plus très bien. J’ai un peu pleuré, parce que c’est ce qu’il faut faire dans ce genre de situation. On a mangé au restaurant. Maman a pris des billets de train. On la rejoindra après-demain. Cela ne m’arrange pas, j’avais une fête pour l’anniversaire de quelqu’un ce soir-là. Je lui ai dit que je ne venais pas. Il ne pourra pas m’en vouloir avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses condoléances.
Après je suis allée me coucher et j’ai mal dormi. Je suis restée longtemps au lit le lendemain matin. J'ai mangé au restaurant universitaire puis j'ai fait des jeux de cartes. Je n'ai rien dit à personne pour Mamie. Cela n’avait pas de sens, on ne parlait pas de cela.
Le soir, je suis allée à une fête. Pour attirer sa compassion, j’ai dit à Grégoire que Mamie était morte. Il m’a prise dans ses bras, mais je n’ai pas dû avoir l’air assez triste car l’étreinte n’a pas duré longtemps. Il m’a offert des cigarettes et je n’ai pas osé dire non. J’ai toussé un peu. J’ai dormi là-bas, Papa n’était pas content que je n’ai pas prévenu.
Il faisait beau le lendemain matin alors je ne suis pas allée en cours. Je suis rentrée à vélo et je souriais. Mais je n’ai pas le droit en ce moment, alors j’ai mis de la musique triste dans mes oreilles et j’ai pleuré un peu, pour la forme, mais c’était surtout à cause du vent.
Je me suis douchée puis je suis restée un peu à m’ennuyer. J’ai pensé à Mamie mais plus je pensais à elle, moins j’arrivais à me la représenter. Le deuil ne serait pas long. J’ai essayé de faire la liste des sept étapes du deuil mais je ne parvenais pas à m’en souvenir non plus.
Elle était dans une maison de retraite depuis plusieurs mois. C’est Maman qui avait voulu la placer, car elle n’arrivait pas à s’en occuper. Elle serait mieux là-bas. Au début, Mamie pleurait souvent. Mais c’était à cause de l’habitude. Au bout de quelques mois, elle aurait pleuré si on l’avait retirée. Toujours à cause de l’habitude. Je pense que l’habitude est la dernière étape du deuil.
Après je suis allée à l’église et je me suis assise un peu. J’ai regardé Jésus en grand qui pendait, et puis les personnes qui priaient. Je n’avais pas mes lunettes alors je ne voyais pratiquement rien. J’avais deux euros qui traînaient au fond de ma poche. Je les ai insérés dans une fente et j’ai eu le droit à une grande bougie. Je me suis un peu brûlée en l’allumant, et j’ai regardé la flamme osciller. Puis une dame m’a souri et m’a demandé si je croyais au paradis. J’ai dit « oui » pour n’avoir plus à parler. Ensuite, j’ai commencé à avoir froid et je suis rentrée.
J’ai fait ma valise. Je n’ai pas de chemise noire. Je vais devoir rester avec mon manteau toute la cérémonie. Mais il fait froid dans les églises, alors ça ira. On est partis en début de soirée et dans le train j’ai voulu regarder une série drôle, mais Papa était en costume noir et il n’avait pas l’air content alors je n'ai pas osé. A la place j'ai observé le paysage. Il a vite fait nuit alors j'ai dormi un peu.
La messe était longue et mon voisin chantait faux. Je n’ai pas voulu voir Mamie morte. Maman a dit : “tu es sans cœur”, mais elle ne le pense pas vraiment. C’est l’émotion. On est restés debout très longtemps, et comme j’avais envie de m'asseoir j’ai fait semblant de prier pour pouvoir être à genoux. Je ne sais pas si on va garder la maison de Mamie. Ce serait pratique, je pourrais y venir avec mes copains. Puis je m'en suis voulue de penser à ça alors j'ai arrêté.
Après, on est allés au cimetière. Il y avait un grand trou et on a lancé des fleurs dedans. Il faisait très froid. Le prêtre a raconté pleins d’histoires sur Mamie que je ne connaissais pas, mais je n’écoutais pas trop. Je pensais au déjeuner.
L’hostie m’avait ouvert l'appétit.