Aristote, les nuages et son héritage

Léopold GIRARD

Léopold GIRARD

Aristote écrit Les Météorologiques au IVème siècle av. J.C. Dans cet ouvrage, le savant grec pose les premiers jalons de notre connaissance sur notre environnement, ses intempéries, sa météorologie. Cette dernière peut être définie comme la science qui étudie les phénomènes affectant la partie la plus basse de l’atmosphère terrestre ou troposphère. 

Aristote se base sur des prémices rejetées depuis par tous les scientifiques modernes. Premièrement, il part du postulat que la Terre soit au centre de l’Univers, vision reprise par la suite par Ptolémée dans sa description du système solaire. Ensuite, il reprend la théorie grecque des éléments et considère que la Terre est composée de quatre éléments :  la terre, l’eau qui la recouvre, le feu et l’air.  
Il peut donc nous être compliqué de penser que cet ouvrage si éloigné des vérités scientifiques actuelles constitue la pierre angulaire de notre compréhension des phénomènes célestes qui nous entourent. Pourtant, cet ouvrage a bien marqué les âges et nous verrons que par son modernisme scientifique combiné à une forte dose de mysticisme, la vision occidentale de sa “météo” et de ses nuages est toujours très aristotélicienne. 

Bien que ses hypothèses et conclusions soient souvent arbitraires, Aristote se rapproche souvent de la réalité tout en ne tombant pas dans le piège scientiste. Il laisse beaucoup d’éléments s’expliquer par le céleste, par quelque chose d’inexplicable. 

Selon lui, la Terre est ronde, infiniment petite par rapport à l’Univers, éloignée des autres astres plus vastes qu’elle mais celle-ci est au centre de son système. Il est intéressant ici de noter les différentes conclusions d’Aristote. Le penseur grec prouve la rotondité de la Terre grâce à une simple observation à l'œil nu de la forme arrondie de l’ombre de notre planète sur la Lune lors d’une éclipse. La place qu’il donne ensuite à la Terre dans notre univers est un reflet de notre système de pensée, qui n’a été renversé qu’au XVIème siècle par Copernic. En effet, si Aristote admet que la Terre est plus petite que d’autres astres comme le soleil, il ne remet jamais en question le géocentrisme, élément fondamental de notre conditionnement religieux mais aussi en tant qu’humain. Aujourd’hui, nous savons que la Terre n’est qu’un astre parmi d’autres dans un système solaire qui fait partie d’un plus grand ensemble qu’on appelle la Voie lactée, elle-même faisant partie d’un plus grand ensemble… 
Pourtant, encore aujourd’hui, nous avons du mal à admettre qu’une forme de vie intelligente pourrait exister ailleurs que sur la Terre. Quand bien même nous admettons qu’il puisse y avoir ces autres espèces, nous les décrivons comme extraterrestres ou bien partons régulièrement à la recherche d’une deuxième Terre. Bien que l’Homme soit ouvert à l’inexplicable, au paranormal, à l’ailleurs, cet ailleurs doit toujours se calquer sur ce que nous voyons, ce que nous connaissons, ce que nous pouvons saisir. Les Grecs et Aristote peuvent voir et connaissent l’existence de la Voie lactée. Cependant, pour ce dernier, il ne s’agit que d’un phénomène atmosphérique qui prendrait place entre la Terre et la Lune. Notre galaxie est ramenée à portée de main. 
Pour ce qui est de l’eau et des nuages, Aristote est l’un des premiers penseurs à théoriser le cycle de l’eau en prenant en compte l’évaporation. Selon lui, “l’eau ne s’engendre pas”. L’eau circule, change de forme mais elle ne se crée ou ne disparaît pas. Rejetant Platon et sa théorie expliquée dans Phédon et selon laquelle toutes les eaux se rejoignent au centre de la Terre (autrement appelé Tartare) pour ensuite être écoulé au gré de ses agitations, dans les rivières et fleuves en surface, son élève expose sa théorie de la double exhalaison. 
        Quand le soleil vient réchauffer la Terre, il y a une exhalaison sèche, très inflammable, qui est à l’origine, pêle-mêle, du vent, des feux célestes, des séismes… Nous assistons également à une exhalaison dite humide provenant de la terre humide et qui est décrite comme de la vapeur. Cette exhalaison est la cause de la pluie, des nuages, du brouillard, de la neige. Indirectement, celle-ci est décrite comme à l’origine des rivières et des mers. L’eau de mer est dessalée à travers un système souterrain et la chaleur centrale de la Terre fait remonter l’eau à la surface.  Le cycle hydrique a donc une composante aérienne. Jocelyn Groisard, auteur de l’introduction des Météorologiques d’Aristote dans la dernière édition chez Flammarion décrit celui-ci comme “un fleuve d’air et d’eau coulant circulairement à la fois vers le haut et vers le bas”
L’association de cause à effet entre le nuage et la pluie ou la neige est, encore ici, le fruit d’observations scientifiques. Pourtant, cette explication rationnelle est faite avec des termes et concepts de l’Antiquité, transformant ce que nous connaissons comme le cycle de l’eau et l’évaporation en un fleuve céleste. Cet élément est repris par les penseurs médiévaux qui font du nuage un voile de Dieu, mais aussi, pour les plus sombres et menaçants d’entre eux, des nimborum naves ou navires de pluie. 

        Cette idée du nuage comme un élément faisant partie d’un continuum entre tous nos éléments (feu, terre, air et eau), cyclique mais peu anticipable et peu explicable. Jusqu’au début du XIXème siècle et le début de leurs classifications, le nuage n’est donc qu’esthétique. Il se réfère à cet objet visible mais non palpable qui s’invite, de temps en temps, dans notre quotidien. Objet qu’on ne connait pas mais qui existe avant de disparaître, celui-ci nous est étranger. Charles Baudelaire immortalise ce vagabondage dans son poème L’Etranger : “J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !”.  Il est intéressant de noter que cette idée du nuage merveilleux, qui cache l’Olympe, et plus tard, le Paradis chez les chrétiens, vient aussi de sa rareté, plus grande autour du bassin méditerranéen que dans d’autres aires géographiques plus pluvieuses. Pourtant, les nuages ont gardé en Occident cette image positive, éphémère et salvatrice, même dans les régions où le ciel paraît éternellement gris. 
        
        Nous pouvons donc retrouver un héritage de la vision aristotélicienne des nuages à travers les siècles qui ont succédé à sa mort, et cela jusqu’à aujourd’hui. Le nuage est un phénomène météorologique à la fois objet et événement. Fréquent mais insaisissable, même les sciences météorologiques les plus récentes ne peuvent parfaitement anticiper sa création. Il fait partie de ces éléments universels que chacun peut analyser mais surtout rêver, imaginer. 

Ce texte a été rédigé par un(e) étudiant(e) ayant participé à l'atelier d'écriture de création "Autour des nuages" dispensé par Mathieu Simonet au Centre d'écriture et de rhétorique de Sciences Po au semestre d'automne 2023.

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